Richard Prince, né en 1949, est une figure centrale de l’art de l’appropriation et de la rephotographie. Depuis les années 1980, il construit une œuvre en réutilisant, recadrant et retravaillant des images existantes issues de la publicité, des médias et de la culture populaire. Quatre séries majeures structurent son parcours : les Cowboys (1980-1992), rephotographies de publicités Marlboro critiquant l’iconographie virile américaine ; les Joke Paintings (1987-1994), toiles où des blagues sont sérigraphiées ou peintes ; les Nurse Paintings (2002-2008), couvertures de romans pulp retravaillées à l’encre jet et à l’acrylique ; et les New Portraits (2014-2015), captures de comptes Instagram avec commentaires ajoutés. Son travail soulève des questions juridiques majeures sur le fair use et les droits d’auteur : en 2013, la cour d’appel a jugé la majorité de ses œuvres de la série Canal Zone transformatives, tandis qu’en 2024, plusieurs jugements ont condamné Prince pour ses New Portraits, ordonnant l’arrêt de leur exploitation et le paiement de dommages.
Richard Prince en 30 secondes : œuvres icônes & controverses ⚖️
- Appropriation et rephotographie : démarche consistant à réutiliser des images existantes (publicités, photos, captures d’écran) pour créer de nouvelles œuvres
- Cowboys (1980-1992) : rephotographies de publicités Marlboro, icônes de la virilité et du mythe de l’Ouest américain détournées
- Joke Paintings (1987-1994) : blagues de culture populaire sérigraphiées ou peintes sur toile, humour noir et absurde
- Nurse Paintings (2002-2008) : couvertures de romans pulp érotiques retravaillées à l’encre jet et à l’acrylique, iconographie rétro
- New Portraits (2014-2015) : captures de publications Instagram d’inconnus ou de célébrités, avec ajout de commentaires par Prince
- Cadre juridique : victoire majoritaire en appel en 2013 (Cariou v. Prince, fair use reconnu), mais condamnations en 2024 pour les New Portraits (dommages et injonctions)
Les séries majeures expliquées simplement
L’œuvre de Richard Prince repose sur un principe constant : prélever dans le flux visuel existant, isoler, recadrer, parfois retoucher, et présenter comme œuvre autonome ce qui était initialement production commerciale ou vernaculaire.
Cowboys : rephotographier la mythologie Marlboro (sens/impact)
Les Cowboys constituent la série la plus célèbre de Richard Prince. Entre 1980 et 1992, il photographie des publicités Marlboro parues dans des magazines, recadrant les images pour éliminer le logo et le slogan, ne conservant que le cow-boy dans le paysage de l’Ouest. Ces rephotographies isolent et amplifient l’iconographie virile et mythologique construite par la marque de cigarettes : homme solitaire, nature sauvage, liberté supposée. En prélevant ces images de leur contexte commercial et en les présentant comme œuvres d’art, Prince met à nu le mécanisme publicitaire et questionne la fabrication des archétypes américains. Les Cowboys deviennent des icônes de l’appropriation artistique, illustrant comment l’art peut critiquer la culture de masse en la réutilisant. Le Guggenheim conserve plusieurs de ces œuvres et les considère comme jalons de la Pictures Generation, mouvement des années 1980 explorant la reproduction et la circulation des images.
Joke Paintings : blagues et culture populaire (1987-1994)
Les Joke Paintings marquent un tournant dans le travail de Prince : il abandonne temporairement la photographie pour la peinture et le texte. Entre 1987 et 1994, il réalise des toiles monochromes sur lesquelles il sérigraphie ou peint à la main des blagues tirées de la culture populaire américaine, souvent sexistes, racistes ou absurdes. Ces blagues, trouvées dans des bars, des vestiaires, des magazines, sont présentées sans illustration, uniquement en texte. Le fond est généralement uni, parfois nuageux ou dégradé. Les Joke Paintings fonctionnent comme appropriation du langage vernaculaire, capturant l’humour noir et les stéréotypes d’une époque. Prince ne commente pas, ne condamne pas : il expose le texte brut, laissant au spectateur le malaise ou le rire. Ces œuvres, présentées par les galeries Skarstedt et Nahmad Contemporary, témoignent de l’intérêt de Prince pour les circuits de diffusion de la culture populaire, au-delà de l’image.
Nurse Paintings : iconographie pulp, encre jet + acrylique
Les Nurse Paintings, réalisés entre 2002 et 2008, réutilisent des couvertures de romans pulp érotiques et hospitaliers des années 1950-1960. Prince scanne ces couvertures vintage montrant des infirmières dans des situations mélodramatiques ou suggestives, les imprime en grand format à l’encre jet, puis intervient à l’acrylique, ajoutant des touches de couleur, des masques ou des modifications graphiques. L’iconographie est rétro, kitsch, saturée de clichés de genre : femmes en uniforme, regards langoreux, scènes de soins ambiguës. En agrandissant et en retravaillant ces images, Prince les fait basculer du statut de culture basse à celui d’œuvre d’art contemporain, interrogeant les représentations féminines stéréotypées et la nostalgie des imaginaires populaires. Les Nurse Paintings, exposés et vendus par de grandes galeries, illustrent la continuité de la démarche appropriationniste de Prince appliquée à la culture visuelle vernaculaire.
New Portraits (Instagram) : principe et réception
En 2014-2015, Richard Prince inaugure la série New Portraits en capturant des publications Instagram de comptes publics, principalement de jeunes femmes, de mannequins ou de célébrités. Il screenshot les images avec leur légende, ajoute un commentaire personnel (parfois énigmatique ou flirteur) et imprime l’ensemble en grand format sur toile. Ces œuvres sont présentées en galerie et vendues à des prix élevés sans autorisation préalable des personnes photographiées. La série suscite immédiatement des controverses : appropriation sans consentement, monétisation de l’image d’autrui, absence de transformation significative. Plusieurs personnes intentent des procès. Les New Portraits posent la question de la limite de l’appropriation à l’ère des réseaux sociaux : suffit-il d’ajouter un commentaire pour créer une œuvre nouvelle ? La réception critique est divisée, et le cadre juridique se révèle défavorable à Prince en 2024.
Encadré juridique : ce qu’il faut retenir
Le travail de Richard Prince a donné lieu à plusieurs procès majeurs qui redéfinissent les frontières du fair use en art contemporain. Deux décisions marquent son parcours.
Cariou v. Prince (2013, appel) : majorité fair use (œuvres transformées)
En 2013, la cour d’appel du deuxième circuit des États-Unis rend un jugement en grande partie favorable à Richard Prince dans l’affaire Cariou v. Prince. Le photographe Patrick Cariou avait poursuivi Prince pour avoir utilisé ses photographies du livre Yes Rasta dans la série Canal Zone, sans autorisation ni crédit. Prince avait recadré, agrandi, repeint, collé et intégré ces images dans des compositions mixtes. En première instance, le tribunal avait condamné Prince. En appel, la cour reconnaît que vingt-cinq des trente œuvres litigieuses constituent un usage transformatif (transformative use) au sens du fair use : les modifications apportées changent suffisamment le sens, l’esthétique et le message pour créer des œuvres nouvelles. Cinq œuvres sont renvoyées en première instance pour évaluation complémentaire, mais l’affaire se règle à l’amiable. Ce jugement est perçu comme une victoire pour l’appropriation artistique, élargissant la définition du fair use et protégeant les artistes qui transforment substantiellement leurs sources.
New Portraits (2024) : condamnations + injonctions (dommages calculés, arrêt de vente)
En 2024, plusieurs jugements condamnent Richard Prince pour ses New Portraits. Les tribunaux estiment que le simple ajout d’un commentaire sous une capture d’écran Instagram ne constitue pas une transformation suffisante pour invoquer le fair use. Les plaignants, dont les images ont été réutilisées sans autorisation, obtiennent des dommages et intérêts, et des injonctions ordonnent à Prince de cesser l’exploitation commerciale des œuvres litigieuses. Ces décisions marquent un durcissement de la jurisprudence sur l’appropriation : la transformation doit être substantielle, visible, modifier l’œuvre originale de manière significative. Les New Portraits, considérées comme trop proches des sources, ne bénéficient pas de la protection accordée aux Cowboys ou aux œuvres de Canal Zone. Ces condamnations impactent la production et la vente des New Portraits, et posent la question de la viabilité juridique de l’appropriation minimale à l’ère numérique.
Repères bio & exposition : situer l’artiste aujourd’hui
Richard Prince appartient à la Pictures Generation, groupe d’artistes new-yorkais des années 1980 (Cindy Sherman, Sherrie Levine, Barbara Kruger) qui explorent la reproduction, la circulation et la critique des images médiatiques. Né en 1949 dans la zone du canal de Panama, il grandit aux États-Unis et travaille à partir des années 1970 dans l’édition avant de se consacrer à l’art. Ses œuvres sont présentes dans les collections du MoMA, du Guggenheim, du Whitney Museum et de nombreuses institutions internationales. Le marché de l’art valorise fortement ses Cowboys et ses Joke Paintings, dont certaines se vendent à plusieurs millions de dollars. Des profils presse récents, notamment dans Vanity Fair, soulignent la permanence de sa démarche malgré les controverses, ainsi que son exploration de nouveaux supports et de nouvelles sources visuelles. Prince continue de produire, de provoquer et de redéfinir les limites de l’appropriation, tout en naviguant dans un cadre juridique de plus en plus contraignant.
FAQ rapides : tout savoir sur Richard Prince artiste
Pourquoi ses « Cowboys » sont-ils connus ?
Les Cowboys sont des rephotographies de publicités Marlboro où Prince a éliminé le logo et le slogan, ne conservant que l’image du cow-boy dans le paysage. Ces œuvres critiquent la construction de l’iconographie virile américaine par la publicité et illustrent le principe de l’appropriation artistique : prélever une image commerciale, l’isoler de son contexte, et en faire une œuvre autonome. Les Cowboys sont considérés comme des jalons de la Pictures Generation et sont conservés dans les plus grandes collections.
C’est quoi une œuvre « appropriée » ?
Une œuvre appropriée est une création réalisée en réutilisant des images, textes ou objets existants, issus de la culture populaire, de la publicité ou d’autres artistes, sans nécessairement obtenir d’autorisation préalable. L’artiste prélève, recadre, modifie ou présente tel quel un matériau visuel trouvé. En droit américain, cette pratique peut être protégée par le fair use si la transformation est suffisante pour créer un nouveau sens ou une nouvelle esthétique.
Les « Nurses », ça vient d’où ?
Les Nurse Paintings réutilisent des couvertures de romans pulp érotiques et hospitaliers des années 1950-1960. Prince scanne ces couvertures vintage, les imprime en grand format à l’encre jet, puis intervient à l’acrylique en ajoutant des touches de couleur ou des modifications graphiques. L’iconographie est kitsch, rétro, jouant sur les stéréotypes de genre et les imaginaires populaires. Ces œuvres prolongent la démarche appropriationniste de Prince appliquée à la culture visuelle vernaculaire.
Qu’a changé 2024 pour Richard Prince ?
En 2024, plusieurs jugements ont condamné Richard Prince pour ses New Portraits, série réalisée à partir de captures d’écran Instagram. Les tribunaux ont estimé que l’ajout d’un simple commentaire ne constituait pas une transformation suffisante pour invoquer le fair use. Prince a été condamné à payer des dommages et intérêts, et des injonctions lui interdisent d’exploiter commercialement certaines œuvres. Ces décisions marquent un durcissement de la jurisprudence sur l’appropriation minimale.
Tableau récapitulatif : les séries de Richard Prince en bref
| Série | Période approx. | Principe | Repère/source |
|---|---|---|---|
| Cowboys | 1980-1992 | Rephoto pubs Marlboro | Guggenheim (dossier) |
| Jokes | 1987-1994 | Blagues textuelles peintes | Nahmad/Skarstedt |
| Nurses | 2002-2008 | Couvertures pulp retravaillées | Site Prince (sélection) |
| New Portraits | 2014-2015 | Captures IG + texte | Jugements 2024 |
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Richard Prince artiste incarne les paradoxes de l’appropriation contemporaine : figure tutélaire de la Pictures Generation, il a ouvert la voie à une pratique critique de l’image médiatique, mais se heurte aujourd’hui aux limites juridiques de cette démarche. Des Cowboys aux New Portraits, son œuvre interroge la propriété, la transformation et la circulation des images dans une culture saturée de visuels. Les victoires juridiques de 2013 et les défaites de 2024 dessinent une frontière mouvante entre création et réutilisation, entre critique et exploitation. Prince continue de provoquer, de questionner et de redéfinir ce que signifie faire de l’art à partir du flux visuel existant.
