Hiroshi Sugimoto (né en 1948) est un photographe japonais installé à New York depuis 1974, reconnu internationalement pour ses séries conceptuelles explorant les notions de temps, mémoire et perception. Son travail au grand format (8×10 pouces) transforme la photographie en machine à explorer le temps, révélant l’invisible dans des compositions d’une pureté formelle saisissante. Ses œuvres figurent dans les plus grandes collections mondiales et font l’objet de rétrospectives majeures, notamment la série « Time Machine » qui a circulé de Londres à Sydney puis Pékin entre 2023 et 2025.
Biographie d’Hiroshi Sugimoto — formation, influences, repères
Né à Tokyo en 1948, Hiroshi Sugimoto étudie d’abord la sociologie et la politique à l’université Rikkyo avant de partir aux États-Unis en 1970 pour suivre une formation artistique à l’Art Center College of Design de Pasadena. Cette double formation académique nourrit sa réflexion conceptuelle sur l’image et le temps.
Installé à New York en 1974, Sugimoto commence par travailler dans l’import d’antiquités japonaises, activité qui affine son regard sur les objets et leur histoire. Cette expérience commerciale influence sa compréhension des liens entre authenticité, reproduction et valeur culturelle, thèmes centraux de son œuvre photographique.
Ses influences artistiques puisent dans le surréalisme, particulièrement Marcel Duchamp et son questionnement des limites entre art et réalité. Cette filiation conceptuelle se retrouve dans toutes ses séries, où Sugimoto interroge la capacité de la photographie à documenter le réel ou à créer ses propres fictions visuelles.
Comprendre son style — « photographier le temps », technique grand format, pose longue
Le style de Sugimoto repose sur l’usage exclusif de chambres photographiques grand format 8×10 pouces, format qui permet une précision et une profondeur de champ exceptionnelles. Cette technique traditionnelle s’oppose volontairement à l’instantané numérique contemporain.
Ses poses longues, parfois de plusieurs heures, captent l’écoulement temporel plutôt que l’instant figé. Cette approche transforme chaque image en condensé temporel : une séance de cinéma entière dans les « Theaters », l’éternité marine dans les « Seascapes », ou les millénaires d’évolution dans les « Dioramas ».
À savoir : Pour lire une image de Sugimoto, observer d’abord la ligne d’horizon parfaitement centrée (dans les marines), la qualité de lumière uniforme qui gomme les détails anecdotiques, et le silence contemplatif qui émane de chaque composition. Ces éléments révèlent sa recherche d’une photographie « pure », débarrassée du contingent pour toucher à l’essentiel.
Séries majeures décryptées (Seascapes, Theaters, Dioramas, Portraits)
Seascapes (1980-2002) — Ces marines en noir et blanc présentent un horizon parfaitement centré divisant l’image entre mer et ciel. Réalisées sur différents océans du monde, elles explorent l’idée d’un paysage primordial, identique depuis l’aube de l’humanité. Chaque composition révèle des variations subtiles de lumière et de texture tout en maintenant une structure visuelle identique, questionnant notre perception du temps géologique.
Theaters (1978-2023) — Sugimoto photographie des salles de cinéma pendant la durée complète d’un film, l’objectif ouvert durant toute la projection. L’écran devient un rectangle lumineux saturé de blanc, synthèse visuelle du film entier. Ces images révèlent l’architecture des salles historiques tout en matérialisant le temps cinématographique, transformant le récit en pure lumière.
Dioramas (1976-2012) — Dans les muséums d’histoire naturelle, Sugimoto photographie les reconstitutions d’animaux empaillés dans leurs décors peints. Ses cadrages et sa technique gomment les indices de l’artifice, créant des images d’un réalisme troublant qui interrogent notre rapport à l’authenticité et à la représentation du passé naturel.
Portraits (1999-2002) — Cette série présente des personnages historiques du musée de cire Madame Tussauds. Photographiés avec la même rigueur que des portraits classiques, ces figures de cire acquièrent une présence saisissante qui brouille les frontières entre le vivant et sa reproduction, questionnant la nature même du portrait photographique.
Nouvelles directions — Lightning Fields & Opticks (lumière, couleur, phénomènes)
Avec « Lightning Fields » (2006-2023), Sugimoto abandonne temporairement l’objectif pour générer des images par décharges électriques directement sur plaque photographique. Cette série explore les origines physiques de l’image, retrouvant les expérimentations de Man Ray ou László Moholy-Nagy tout en développant une esthétique personnelle de l’éclair fossilisé.
La série « Opticks » (2018-2023) marque son passage à la couleur à travers l’usage de prismes qui décomposent la lumière blanche. Ces images aux spectrums colorés rendent hommage aux recherches de Newton sur la lumière tout en prolongeant sa réflexion sur les phénomènes optiques fondamentaux. Cette évolution technique révèle un Sugimoto expérimentateur, dépassant ses propres codes esthétiques pour explorer de nouveaux territoires visuels.
Architecture & Enoura Observatory — l’espace comme prolongement de l’image
Depuis 2009, Sugimoto développe l’Enoura Observatory dans la péninsule d’Izu, projet architectural de l’Odawara Art Foundation qui matérialise sa vision artistique dans l’espace. Ce complexe comprend un théâtre Nô traditionnel, une galerie souterraine et un tunnel orienté vers le lever du soleil au solstice d’hiver.
L’Enoura Observatory fonctionne comme une camera obscura géante où architecture, paysage et phénomènes lumineux se conjuguent selon les principes esthétiques de Sugimoto. Le tunnel du solstice, en particulier, transpose dans l’architecture son obsession pour la capture du temps et de la lumière, créant un dispositif où le visiteur expérimente physiquement les concepts développés dans ses photographies.
Ce projet révèle l’ambition totale de Sugimoto : dépasser la photographie pour créer des environnements complets où l’art dialogue avec les rythmes cosmiques et les traditions culturelles japonaises. L’Enoura confirme sa stature d’artiste complet, architecte de l’expérience esthétique autant que créateur d’images.
Où voir Sugimoto aujourd’hui — repères d’expositions & institutions
La rétrospective « Time Machine » a marqué l’actualité récente de Sugimoto, circulant de la Hayward Gallery de Londres (2023) à la Art Gallery of New South Wales de Sydney (2024) puis au UCCA de Pékin (2025). Cette exposition majeure présente cinquante ans de création à travers un parcours chronologique et thématique exhaustif.
En France, les amateurs peuvent découvrir ses œuvres lors du group show au Musée de l’Orangerie (30 avril – 18 août 2025) qui présente ses marines en dialogue avec les Nymphéas de Monet. Paris Photo 2024 a également montré ses dernières séries chez ses galeries représentantes Lisson Gallery et Marian Goodman Gallery.
Les collectionneurs et institutions peuvent suivre sa programmation via les galeries Fraenkel (San Francisco), Lisson (Londres/New York) et Marian Goodman (Paris/New York) qui organisent régulièrement des expositions thématiques. La Fraenkel Gallery maintient un site de référence fraenkel-gallery.com pour suivre les disponibilités d’œuvres et les expositions à venir.
Ressources & livres
Les monographies essentielles incluent « Hiroshi Sugimoto » (Flammarion, 2019) qui couvre l’ensemble de l’œuvre, et « Time Machine » (Thames & Hudson, 2023), catalogue de la rétrospective récente avec des essais critiques actualisés. Le site officiel hiroshisugimoto.com rassemble actualités, biographie et archives visuelles complètes.
Pour découvrir ses expositions, consulter les programmes des institutions majeures (Centre Pompidou, Bourse de Commerce, Musée d’Orsay) qui présentent régulièrement ses œuvres en collections ou expositions temporaires. Les galeries Lisson et Marian Goodman publient également des catalogues de référence lors de leurs expositions parisiennes.