Antonietta Gonsalvus (vers 1588-après 1611) demeure l’une des figures les plus fascinantes de l’art européen de la Renaissance grâce au portrait exceptionnel que Lavinia Fontana réalise d’elle vers 1594-1595. Fille de Petrus Gonsalvus, dit « l’homme sauvage des Canaries », cette jeune femme atteinte d’hypertrichose congénitale fréquente les cours européennes où elle suscite curiosité savante et fascination. Le tableau de Fontana, conservé au Musée des Beaux-Arts du Château de Blois, révolutionne la représentation de la différence en montrant Antonietta dans toute sa dignité aristocratique. Une seconde version de ce portrait remarquable vient d’être acquise en 2025 par le National Museum of Western Art de Tokyo, témoignant de l’intérêt contemporain pour cette œuvre singulière qui interroge les notions de normalité et d’humanité.
Qui est Antonietta Gonsalvus ?
Antonietta Gonsalvus naît vers 1588 au sein d’une famille extraordinaire marquée par l’hypertrichose congénitale, condition génétique rare provoquant une pilosité excessive sur l’ensemble du corps. Son père, Petrus Gonsalvus (vers 1537-vers 1618), originaire de Tenerife, est amené enfant à la cour d’Henri II de France où il reçoit une éducation raffinée malgré son apparence inhabituelle. La famille Gonsalvus, comprenant plusieurs enfants également atteints, devient un objet de fascination pour les cours européennes de la Renaissance, période où la curiosité pour les « merveilles de la nature » structure une part importante de la culture savante. Antonietta grandit donc dans un environnement aristocratique, recevant une éducation soignée qui transparaît dans son maintien et ses vêtements sur le portrait de Fontana. La famille voyage entre les cours d’Europe, de la France à l’Italie, incarnant cette fascination Renaissance pour l’extraordinaire apprivoisé par la culture et l’éducation. Cette condition particulière, loin de marginaliser la famille, lui confère un statut unique entre curiosité scientifique et divertissement de cour.
Le portrait par Lavinia Fontana (c. 1594-1595) : ce qu’il faut savoir
L’artiste & le contexte
Lavinia Fontana (1552-1614), première femme peintre professionnelle de l’histoire occidentale, reçoit cette commande vers 1594-1595 dans son atelier bolonais. Reconnue pour ses portraits de la bourgeoisie et de l’aristocratie italienne, Fontana apporte à ce sujet inhabituel son savoir-faire technique et sa sensibilité psychologique remarquable. L’œuvre s’inscrit dans la tradition des « portraits de curiosités » commandés par les collectionneurs érudits de la Renaissance, mais Fontana dépasse largement le simple document ethnographique pour créer une véritable œuvre d’art. La commande émane probablement d’un amateur éclairé souhaitant documenter cette famille exceptionnelle, dans l’esprit des cabinets de curiosités alors en vogue. Fontana maîtrise parfaitement les codes du portrait aristocratique qu’elle applique sans condescendance à son modèle, révolutionnant ainsi la représentation de la différence physique.
Ce que montre le tableau
Le portrait présente Antonietta en buste, vêtue d’un costume aristocratique de velours noir rehaussé de dentelles et de bijoux, affirmant son rang social malgré sa condition physique particulière. L’inscription latine qu’elle tient précise son identité et sa filiation, élément crucial pour comprendre le statut de la famille à l’époque. La technique de Fontana révèle une maîtrise parfaite du rendu des textures : la fourrure naturelle du visage d’Antonietta, les étoffes précieuses, les carnations délicates des mains gantées. Le regard direct et serein de la jeune femme établit un rapport d’égalité avec le spectateur, loin des représentations voyeuristes habituelles. La composition équilibrée et l’éclairage soigné témoignent du respect de l’artiste pour son modèle. Cette approche dignifiée transforme ce qui aurait pu être un simple document ethnographique en portrait psychologique d’une grande humanité, caractéristique du génie de Fontana.
Où voir aujourd’hui ? Blois… et la version acquise par Tokyo (2025)
Le portrait historique d’Antonietta Gonsalvus par Lavinia Fontana se trouve au Musée des Beaux-Arts du Château de Blois, où il constitue l’une des pièces maîtresses des collections Renaissance. Cette version, documentée depuis le XIXe siècle, bénéficie d’une présentation muséographique qui contextualise l’œuvre dans son époque et explique la condition médicale de la famille Gonsalvus. Le National Museum of Western Art de Tokyo a acquis en 2025 une seconde version de ce portrait, événement majeur du marché de l’art qui confirme l’intérêt international pour cette œuvre singulière. Cette acquisition tokyoïte, largement couverte par la presse artistique spécialisée, témoigne de la reconnaissance contemporaine de Lavinia Fontana et de l’importance documentaire de ses portraits.
Les deux institutions proposent des ressources en ligne permettant d’approfondir la connaissance de l’œuvre : en.chateaudeblois.fr offre une analyse détaillée du contexte historique, tandis que collection.nmwa.go.jp présente la nouvelle acquisition dans le cadre des collections occidentales du musée. Ces versions, probablement contemporaines, révèlent l’existence d’un marché pour ce type de portraits à l’époque de Fontana.
Version | Date estimée | Dimensions | Musée / Ville |
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Version historique | 1594-1595 | 57 × 46 cm | Musée des Beaux-Arts, Blois |
Version acquise 2025 | 1594-1595 | Dimensions à confirmer | National Museum of Western Art, Tokyo |
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Comprendre le contexte : hypertrichose & culture de cour
L’hypertrichose congénitale dont souffre la famille Gonsalvus fascine l’Europe savante de la Renaissance. Cette condition génétique rare, aujourd’hui mieux comprise, transforme alors ses porteurs en « merveilles vivantes » étudiées par les naturalistes comme Ulisse Aldrovandi qui documente la famille dans son « Monstrorum Historia ». La cour d’Henri II, puis celles d’Europe, accueillent les Gonsalvus non comme des victimes mais comme des curiosités précieuses témoignant de la diversité de la Création divine.
Cette fascination s’inscrit dans l’esprit humaniste de la Renaissance qui cherche à cataloguer et comprendre toutes les manifestations de la nature. Les Gonsalvus bénéficient d’un statut ambigu mais privilégié : ni marginaux ni parfaitement intégrés, ils incarnent l’extraordinaire domestiqué par l’éducation et les bonnes manières. Leur présence dans les cours européennes témoigne de cette curiosité érudite qui caractérise l’époque, où l’étrange et le merveilleux participent de la culture aristocratique.
Le portrait de Fontana s’inscrit dans cette tradition tout en la dépassant : au lieu de documenter une anomalie, elle révèle une personnalité. Cette approche révolutionnaire annonce une conception plus moderne de la dignité humaine, indépendante de l’apparence physique.
Ce que dit l’inscription tenue par Antonietta
L’inscription latine que tient Antonietta dans le portrait précise : « Don Pietro, l’homme sauvage découvert dans les îles Canaries avec sa fille Antonietta ». Cette mention établit clairement la filiation avec Petrus Gonsalvus, dit « Don Pietro », père de la jeune femme et figure tutélaire de cette famille extraordinaire. L’expression « homme sauvage des Canaries » reprend la terminologie de l’époque pour désigner cette condition médicale alors inexpliquée, tout en soulignant l’origine géographique de Petrus. Cette inscription fonctionne comme un cartel d’exposition, documentant précisément l’identité du sujet pour les contemporains. La mention du titre « Don » révèle l’intégration aristocratique de la famille malgré ses origines modestes. Cette inscription transforme le portrait en document historique autant qu’artistique, témoignage de la curiosité savante Renaissance pour les phénomènes naturels extraordinaires. L’humanité transparaît dans cette présentation digne qui refuse le sensationnalisme au profit de l’information factuelle.
Variantes d’orthographe & requêtes associées
Le nom de famille se décline sous plusieurs formes selon les sources et les langues : Gonsalvus (latin savant), Gonzales (espagnol), Gonzalès (français), révélant les migrations européennes de cette famille cosmopolite. Le prénom Antonietta apparaît parfois sous la forme Antonieta ou Tognina (diminutif italien affectueux), selon les documents d’époque et les traditions linguistiques locales. Ces variations orthographiques, loin d’être des erreurs, témoignent de l’adaptation de la famille aux différentes cours européennes et aux usages linguistiques de chaque pays. Les recherches contemporaines utilisent indifféremment ces graphies, la forme latinisée Gonsalvus étant privilégiée par les historiens d’art pour son caractère officiel et sa présence dans l’inscription du portrait de Fontana. Cette diversité orthographique enrichit paradoxalement la documentation sur cette famille remarquable, chaque variante apportant des éclairages complémentaires sur son parcours européen exceptionnel.